Editorials

Le Rap Hardcore Français

Dans quelle mesure le rap hardcore français peut-il influencer la société française?

« Banlieusard et fier de l’être
On n’est pas condamné à l’échec ! »

A la fin des années 1970, une nouvelle culture surgit de la rue. « Ces prophètes parlent en rimes et racontent sur des rythmes dansants la misère, la colère ou la joie du sous-prolétariat noir » – ces prophètes sont les premiers rappeurs.

Le rap est un mouvement musical relativement nouveau. Plus de quarante ans après sa naissance dans les ghettos glauques new-yorkais aux États-Unis, le rap a été expatrié partout dans le monde. Il est maintenant l’un des genres musicaux le plus populaire et le plus puissant. En terme de production musicale et d’influence culturelle, la France est le deuxième pays au monde après les Etats-Unis, et la capitale de la musique rap en Europe.

Le rap est la partie émergée de l’iceberg d’une culture qui est profondément riche et diverse ; la culture hip hop. Le hip hop est un mode de vie qui regroupe des arts de la rue autour de trois pôles ; musical, corporel et graphique. Les sous-divisons de ces disciplines sont la musique (le rap), la danse (le breakdance) et l’art (le graffiti). Cette dissertation n’abordera qu’un pôle du hip hop – le rap – parce qu’on peut affirmer que le rap est le pôle le plus influent. Avant toute chose, le rap est l’expression musicale des pauvres. Au contraire des autres styles musicaux, le rap n’a pas besoin d’avoir ni équipement cher ni éducation musicale. La seule chose qui est requise est la voix. La voix pour rapper et pour faire la boîte à rythme. Kool Shen et Joey Starr, les deux membres du Suprême NTM – groupe phare du mouvement rap français – ont commencé dans le hip hop comme des breakeurs et des graffeurs, mais ils se sont convertis au rap quand ils ont réalisé l’impact potentiel de cette musique et celui des rappeurs.

Le rap est la diction, « mi-parlée, mi-chantée de textes élaborés, rimés et rythmés, et qui s’entend sur une base musicale produite par des mixages extraits de disques et autres sources sonores ». Plusieurs formes de rap existent, en fonction du débit de paroles d’un(e) rappeur(se). Cela dépend de trois éléments ; le « flow » vocale (les modèles rythmiques, le schéma rythmique et les techniques de rimes), l’élocution (l’articulation, la présence vocale et le contrôle de souffle) et les thèmes des paroles. Le rap hardcore peut être identifié par trois critères particuliers. Le flow vocale des rappeurs hardcores est plus rude et agressif que les flows des rappeurs « commerciaux » ou « propre ». Les échantillons sonores du rap hardcore sont plus complexes et divers ; beaucoup des échantillons sont superposés en même temps et le rythme est rapide. Finalement, les thèmes des rappeurs hardcores se concentrent sur « la rue » et « la téci ». Ces thèmes incluent, mais ne sont pas limités à ; la violence, les drogues, la pauvreté, l’inégalité, le racisme, la discrimination et l’exploitation. Donc, ces critères distinguent les rappeurs hardcores des rappeurs ayant des flows plus décontractés et des thèmes lyriques moins politisés comme MC Solaar, Soon-E MC et Ménélik.

Selon Bocquet et Pierre-Adolphe, la mission des rappeurs hardcores est la dénonciation de l’exploitation économique et sociale des minorités. Dû à la nature politisée du rap hardcore, cette dissertation est consacrée à l’influence potentielle de ce style de rap sur la société française. Cette rédaction se concentrera exclusivement sur les artistes du rap hardcore, en particulier sur Suprême NTM. Avec l’aide d’une étude de cas principal, « l’affaire NTM », cette rédaction expliquera dans quelle mesure le rap hardcore influence le langage, la politique et la jeunesse de la société française.

Pour analyser le rap français en profondeur, il est nécessaire d’expliquer l’histoire du rap, sa naissance à New York et comment le rap est arrivé en France.

La culture afro-américaine a une longue tradition verbale. Les griots, les grands conteurs et poètes de l’Afrique de l’Ouest qui racontent les histoires en étant accompagné d’un instrument simple, transporteront leur tradition orale lors de la période de l’esclavagisme aux colonies des Etats-Unis et des Caraïbes au 18e et 19e siècle. Les histoires des griots sont la musique rap dans sa forme la plus rudimentaire. En Jamaïque, cette tradition se développe avec le « toasting », « un procédé de chant qui utilise un phrasé de rimes, rythmé sur du reggae ». Le toasting se transforme en rap dans les ghettos noirs à New York.

Semblable aux autres types de la musique principalement noire, comme le blues et le gospel, le rap a commencé comme une forme d’évasion et d’expression individuelle pour la souffrance du sous-prolétariat noir. Alors que la drogue, précédemment, était un moyen d’échapper a la misère, bientôt, le rap en devient un autre. A la fin des années 1960, un collectif de jeunes noirs militants, les Last Poets, émergent en mettant leur colère en rimes et en percussion. Les Last Poets dénoncent les conditions des ghettos noirs et s’associent avec les autres radicaux du mouvement noir ; Malcolm X et les Panthères Noires. Leur musique et leur influence sont considérées comme une menace pour l’Etat et ils sont espionnés par le FBI. A son début, l’influence potentielle de la musique rap sur la société est évidente.

Cette musique verbale devient plus populaire pendant les années 1970. Dans les ghettos des quartiers noirs new-yorkais – le Bronx, Brooklyn et le Queens – les habitants font une fête, qui s’appelle une « block party », pour lutter contre les gros problèmes sociaux qui se trouvent au sein de la population noire américaine ; le chômage, la discrimination et la pauvreté. Par exemple, alors que les hommes noirs comptent pour 6 % de la population américaine, ils représentent 50 % de la population carcérale. Malgré la situation, ces block parties réunissent le quartier à travers la danse et la musique. Le principe d’une block party est simple ; les deux côtés d’une rue sont fermées et les habitants paient un faible droit d’entrée pour écouter la musique qui est faite par le DJ et le MC ; le « maître de cérémonie ». Le MC, le rappeur d’aujourd’hui, est d’une grande importance parce que c’est lui qui rassemble la foule. C’est lui qui « assure les fonctions de porte-voix et de porte-parole, il transmet un message, provoque une prise de conscience, ravive une mémoire, diffuse une énergie ». La combinaison du DJ et du MC est essentielle comme « les mots sont signifiants, engagés, mais leur signification est portée par le martèlement du rythme ». Donc, grâce aux block parties, un nouveau type de musique est développé ; la fusion des mots signifiants et d’un rythme martelé – le rap.

Bientôt, l’impact de ce nouveau style de musique touche deux jeunes français, Bernard Zekis et Jean Karakos, qui sont expatriés à New York. Là-bas, ils rencontrent Afrika Bambaataa. Afrika Bambaataa était un membre du gang ultra-violent new-yorkais, les Black Spades, qui, après avoir été témoin du meurtre du son meilleur ami, a fondé la Zulu nation. Ce nouveau gang, et les adeptes « les zulus », (qui sont inspirés par les zoulous, le peuple du sud de l’Afrique résistant à l’invasion anglaise) est une confrérie d’individus « à la recherche de succès, de paix, de sagesse, de compréhension et de bon comportement dans la vie » afin de « préserver la culture hip hop ainsi que toutes les formes d’art et utiliser la musique comme un lien d’échange culturel et de compréhension ». Zekris et Karakos, en témoignage du succès de la Zulu nation dans les ghettos à New York, créent une branche de la Zulu nation en France pour apporter ces enseignements positifs aux ghettos français – les banlieues. En 1976, les deux Français fondent la maison de disques, Celluloïd, qui enregistre la première chanson rap française, « Change de Beat » par Fab 5 Freddy. A la suite de cet enregistrement en 1982, Zekris et Karakos organisent le New York City Rap Tour et pour la première fois la France découvre le rap. De cette manifestation les futurs acteurs de la scène rap française, « les yeux écarquillés » prennent des notes car après le NYC Rap Tour, le rap en France explose. En 1982, après le séjour aux Etats-Unis, DJ Dee Nasty, est convaincu de l’importance de la musique rap et prend la tête de la Zulu nation en France. Par la suite il crée, avec l’un des premiers rappeurs français, Lionel D, une radio pirate « Radio Nova » pour introduire le rap dans la population française. Radio Nova est à l’origine de la découverte des artistes du rap français les plus célébres ; Suprême NTM, Assassin, Ministère A.M.E.R et, le parrain du rap français, MC Solaar. De plus, ces pionniers organisent les block parties françaises, qui seront à l’origine des premières réunions du hip hop réunissant les rappeurs, les breakeurs et les graffeurs en herbes sur le terrain vague de la Chapelle, dans le dix-huitième arrondissement de Paris en 1986. En 1984, la première émission consacrée entièrement au hip hop du monde, « H.I.P H.O.P », est diffusee sur la chaîne TF1. Cette émission, avec sa présentation « rappée », est animée par Sidney. Dans les premières années en France, le rap a déjà encouragé une évolution sociale car Sidney est aussi le premier animateur noir à la télévision française. En 1990, avec la diffusion de « Rapattitudes », la première anthologie du rap, le rap s’est ancré dans la culture des Français et l’influence du rap sur la société française est née.

En France, le rap hardcore s’est développé à la fin des années quatre-vingt avec la deuxième génération des banlieusards. Les banlieues françaises sont créées lors de la croissance économique des années 1960 avec la construction des immeubles sur les périphéries des villes, nécessaires pour loger la population en plein essor ; cette population étant composée de Français natifs et d’immigrés. A la suite du choc pétrolier des années 1970, la répression économique et la fermeture conséquente des usines, vont mettre au chômage beaucoup d’ouvriers immigrés modestes, qui habitaient dans les banlieues. De plus, la priorité de l’emploi étant donné aux citoyens Français, les conditions de vie des habitants des banlieues se détériorent (éducation, emploi, logement) avec aucune possibilité d’avancement social Cette situation existe toujours. Par exemple, le chiffre du chômage dans les banlieues atteint 85 %. Kery James explique la situation des banlieusards clairement en rappant :

« Même s’il me faut deux fois plus de courage, deux fois plus de rage,
Car y’a deux fois plus d’obstacles et deux fois moins d’avantage,
Et alors ?! Ma victoire aura deux fois plus de goût,
Avant d’pouvoir la savourer, j’prendrai deux fois plus de coups,
Les pièges sont nombreux, il faut qu’j’sois deux fois plus attentif,
Deux fois plus qualifié et deux fois plus motivé. »

Ce rap souligne qu’en raison des mauvaises décisions du gouvernement, depuis les années quatre-vingt, la banlieue a été systématiquement associée à la marginalité et à l’exclusion. En effet, les origines des rappeurs hardcore sont exclusivement de la banlieue – les NTM sont de la Seine-Saint-Denis, Alliance Ethnik de Creil (qui est référencé dans leur chanson « Creil City ») et Ministère A.M.E.R de Sarcelles (dont le code postale est 95200 – le titre de leur disque sorti en 1994)- l’objectif des rappeurs hardcore, grâce à leurs tendances politisées, est de dénoncer cette spirale de la ségrégation spatiale et de la relégation sociale. Le rap donne une voix aux banlieusards et à la jeunesse méprisée (« les racailles » selon Sarkozy pendant un discours en 2005), prise dans cette spirale, et cela leur permet d’exprimer leur misère, leur colère ou leur joie. Si le rap a des tendances dures et violentes, c’est dû au fait que ; « tout ce qu’on fait vient du côté sobre et sinistre de la réalité, c’est là où on vit ». Les rappeurs sont des « haut-parleurs » et des « journalistes » de cette réalité dure afin de « relater ce que mes consorts n’exprimeront jamais dans un micro ». Les rappeurs parlent à la première personne, ce qui donne une véracité à leurs paroles, et font référence à leur « tiéquar » ; un exemple flagrant est « Seine Saint-Denis Style » de NTM. De plus, comme « personne ne joue avec les mêmes cartes…/ on est pas nés sous la même étoile » , chez IAM, les rappeurs sont encore des « sentinelles »qui protègent les banlieusards de l’exploitation. Kery James va même jusqu’à considérer comme un « soldat » celui qui lutte pour la justice des banlieusards. Chez les rappeurs, rapper sur les conditions de la banlieue est un acte de citoyenneté. Selon JoeyStarr, « mon devoir de citoyen, je le remplis tous les jours, en écrivant mes raps ». Cette opinion est soulignée par les croyances du rappeur underground parisien International XB. Pendant une interview, International XB a expliqué que, dû au fait que les rappeurs utilisent les problèmes de la société comme l’inspiration pour leurs raps, il faut qu’ils rendent à la communauté ce qu’elle leur a donnée. Il est clair que les rappeurs hardcore possèdent une grande conscience sociale. Donc, on peut affirmer qu’avant toute chose le rap hardcore influence les vies des banlieusards car les rappeurs visent à se prononcer en faveur des banlieues, ce en quoi le gouvernement français a échoué.

Donc, il est évident que, comme le bande-son des vies des méprisés, le rap a le pouvoir de dénoncer les problèmes sociaux en France. Selon Adam Krims, le rap est « the tip of the social iceberg…showcasing the power of the social movement ». Cette opinion est similaire à l’opinion de Mahmoud Tall ; le délégué national des jeunes de l’UMP, qui est chargé de la culture et de la diversité. Pendant une interview, Tall avoue qu’il croit que le mouvement rap est une continuation de la mentalité révolutionnaire des Français ; le désir d’agir quand une situation n’est pas juste. Les rappeurs, mécontents de leurs conditions de vie et de leur position invisible dans la société française, cherchent à passer un message politique, à donner une voix aux pauvres et, au bout du compte, à changer les vies des autres. L’objectif d’une révolution est l’incitation au changement. Donc, on peut affirmer qu’il y a des similitudes entre les objectifs des révolutionnaires du 18e siècle, et les objectifs des rappeurs d’aujourd’hui.

Pourtant, la violence, qui est généralement associée à la révolution, n’est pas exprimée avec les actions des rappeurs, mais avec les paroles de leurs raps. Comme on a vu avec la Zulu nation, le but des rappeurs n’est pas de provoquer la violence. « Le message du rap n’est pas fondamentalement un message de violence », plutôt, les rappeurs, comme les reporters des guerres, racontent la violence de leurs vies et celle de leur communauté, que ce soit la violence policière (« Les condés de l’abus de pouvoir ont trop abusé… »), la violence des gangs ou la violence conjugale (« J’avais trop peur qu’il me tue, trop peur de lui, de ses faits et gestes, de peur d’être battue… »), pour mettre l’accent sur les problèmes et pour ouvrir les yeux des autorités sur leurs souffrances.

En particulier, le rap hardcore affecte les vies, les sentiments et les mentalités des jeunes. A une plus petite échelle, le rap peut définir l’apparence et le langage d’un jeune. L’univers du rap est dicté par deux codes ; les codes vestimentaires (des baggies, des casquettes souvent portées à l’envers et des baskets) et linguistiques (l’usage des gros mots, de l’argot et du verlan). La manière dont un jeune parle et la manière dont un jeune est habillé sont deux choses au cœur du développement d’un jeune. Avec ces codes, un jeune éprouve un sentiment d’inclusion et d’appartenance à la communauté du hip hop. Cela est souligné par le fait que plus de 60 % de la jeunesse française écoute la « musique urbaine » régulièrement. Étant donné que plus de 60 % de la jeunesse française choisit d’écouter la musique urbaine, on peut affirmer que plus de 60 % de la jeunesse française choisit d’être influencée par ce style de musique. Donc, le rap peut transmettre aux jeunes un message de la même façon que les journaux transmettent des informations aux adultes.

De plus, pour les jeunes, les rappeurs représentent la réussite. Malgré leur éducation dure, ils ont trouvé une façon non-violente et légale d’échapper à la pauvreté de la vie en cité. Les rappeurs doivent leur succès non pas au crime ou à l’économie « alternative » (la vente des drogues ou d’objets volés) de la banlieue, mais plutôt à la pratique d’un art ; un art académique qui devrait être reconnu comme de la poésie. Pour les jeunes de la cité, les rappeurs sont une inspiration, non seulement pour leur richesse matérielle, mais aussi parce que les rappeurs ont du pouvoir et de l’influence ; en effet le rappeur, poète et écrivain Abd Al Malik dit : « Etre rappeur c’est la classe/ Ça parle aux gens / Ça parle des gens ». En outre, JoeyStarr avance que « Nous représentons sans doute, pour certains jeunes des cités, un petit bastion de liberté ». Les rappeurs représentent la liberté pour les jeunes, pas de rêver, mais de croire qu’une vie plus belle est à l’horizon.

En France, il est clair que le rap touche principalement les jeunes, mais il peut aussi toucher la majorité de la population. Il n’y a pas de frontière ethnique, telle qu’on peut la voir aux Etats-Unis, en effet là-bas la plupart des rappeurs sont afro-américains (avec l’exception notablement des Beastie Boys et Eminem). Le dénominateur commun des rappeurs français n’est pas la couleur de leur peau car les origines ethniques des rappeurs sont diverses ; « arabe, gaulois, africain, antillais ou simplement banlieusard chez nous ». Par exemple, les artistes choisis pour la première sortie de « Rapattitudes » inclue ; Dee Nasty, un « blanc » de la banlieue parisienne ; EJM, un « black », dont les parents sont originaires de la Martinique et du Cameroun et Saliha, un « beur », avec parents arabes et italiens. En France, le rap est ouvert à tout ceux qui croient que leur histoire et leur lutte doivent être entendues.

De plus, les thèmes de la musique rap sont larges, et par conséquent le rap peut toucher toute une gamme de personnes. Les thèmes des raps ne sont pas limités aux problèmes de la banlieue. Par exemple, Assassin, un groupe de musique rap, reproche au gouvernement dans une de ses chansons : « L’écologie : Sauvons la planète », leur inefficacité face à la destruction de l’environnement. En outre, ce même groupe va dénoncer et critiquer au travers d’une de ses chansons « A qui l’histoire ? » l’absence au programme scolaire français du sujet des colonisations au 18e siècle. JoeyStarr, membre fondateur du collectif « Devoirs de mémoires » appuie cette cause qui vise à rappeler « certains traits sombres de l’histoire de France, notamment la colonisation ». De plus, les rappeurs essaient de redéfinir la représentation des minorités dans l’histoire de la France. La formation scolaire française semble enseigner que la République française est fondée exclusivement par les blancs. La reconnaissance de la contribution des minorités dans la construction de la France remonte seulement aux années soixante et, même ici, la contribution des minorités n’est pas considérée comme une force positive. Les immigrés sont souvent considérés comme un « problème » et une « menace à l’identité française ». En fait, le rap français a provoqué une sorte de révisionnisme noir. Plusieurs des rappeurs ont écrit des raps sur la question de l’esclavagisme. Dans « Les tam-tam de l’Afrique » IAM dénonce le pillage de l’Afrique, l’enlèvement des habitants et leur esclavage ultime. En 1998, un grand concert était organisé à Paris pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Donc, la grande gamme de sujets politiques traités par les rappeurs, en oscillant entre l’écologie, le système scolaire et l’histoire française, montre que le rap peut toucher les personnes en dehors de la banlieue et, par conséquent, le rap peut influencer globalement la société française.

Le plus bel exemple du rap français et de son influence sur la société française se trouve dans « l’affaire NTM ». Suprême NTM est un groupe phare du mouvement rap hardcore formé en 1988 et composé de deux rappeurs de la banlieue parisienne, la Seine-Saint-Denis : JoeyStarr (Didier Morville) et Kool Shen (Bruno Lopes). Dès le début, les NTM provoquent la controverse, non seulement avec le nom du groupe, qui signifie « nique ta mère », mais aussi avec les thèmes de leurs paroles. La controverse arrive à son apogée le 14 juillet 1995 lors d’un concert : « Concert des Libertés » organisé par l’association SOS Racisme à la Seyne-sur-Mer. Ce concert avait pour but de protester contre l’élection de Jean-Marie Le Chevallier (du parti de l’extrême droite, le Front National) à la mairie de Toulon – et les NTM sont à l’affiche. Pendant le concert, JoeyStarr parle freestyle :

« J’encule et je pisse sur la Justice. La police, ce sont eux les fachos. C’est eux qui assassinent… Ces gens-là sont dangereux pour nos libertés. Nos ennemies, c’est les hommes en bleus. Ils attendent que ça part en couilles pour nous taper sur la gueule. On leur pisse dessus ».

Aucune violence ne se produisit, pourtant, les paroles de JoeyStarr ne passèrent pas inaperçues auprès des vingt-six policiers présents pour assurer la sécurité ce soir-là, et le lendemain leur syndicat porte plainte contre les NTM.

La décision qui a suivi a été une grande première pour la Justice en France. Un an après les événements du 14 juillet, Bruno Lopes et Didier Morville sont inculpés pour « outrages à personnes détentrices de l’autorité publique ». Ils sont condamnés à six mois de prison (dont trois mois fermes), doivent s’acquitter d’une amende de 50 000 francs et sont interdits de travail (d’écrire, de produire ou de chanter) pendant six mois.

La décision divise la France. Quelques personnalités publiques sont d’accord avec la punition ; notamment Jean-Marie Le Chavallier lui-même et Francois Léotard (ancien ministre de la culture) qui parlent d’une « excellente décision ». Le philosophe Alain Finkielkraut va même jusqu’à comparer les paroles de JoeyStarr au « néofascisme des banlieues » ce qui prouve bien l’aversion des politiques de droite pour la musique rap.

Par contre, Philippe Douste-Blazy et Jack Lang (l’actuel et l’ancien ministre de la culture) sont opposés à la décision qu’ils considèrent trop sévère. Pour Jack Lang, cette décision est une régression aux anciennes croyances qui considèrent le mouvement hip hop comme une « sous-culture ». Il a déclaré son appui pour le rap au magazine VSD en disant que;  « Je crois à la culture rap… Pour moi cela représente avant tout une expression vibrante, à la fois musicale, poétique et chorégraphiée. Un art venu de la rue pour la rue. ». Cette déclaration pour son appui à cet art verbal souligne son opposition à la punition d’NTM.

En outre, depuis 1881, la presse est libre en France. Ainsi, pour la première fois depuis 1881 en condamnant un artiste, le juge Boulanger s’oppose à la liberté d’expression, un concept qui tient à cœur les Français. Ceci déclenchera une vague des manifestations de solidarité aux rappeurs dans tout le pays. Des syndicats et les parties politiques de gauche, les organisations antirascistes et les autres artistes du rap croient que cette décision est un « retour en force de l’ordre moral », à l’ancien régime et à la censure. De plus, ces groupes croient que la Justice a fait une action à deux poids parce que, plusieurs fois, elle a manqué de condamner Jean-Marie Le Pen pour nier l’Holocauste et alors qu’ « on condamne un groupe de rap… on laisse Jean-Marie Le Pen parler de l’inégalité des races » (les mots de Kool Shen).

De plus, le public français montre son appui aux NTM et à la musique rap car le volume des ventes de disques rap augmente (le disque le plus récemment sorti des NTM devient disque de platine) et la demande pour la musique rap est telle qu’elle est diffusée sur les stations de radio non consacrée au rap. Le public français exécute une sorte d’anti-boycottage qui démontre leur rejet de la punition du groupe et leur appui pour le rap, et la culture hip hop au sens large.

L’affaire NTM a mis en lumière l’influence de la musique rap. Cela souligne l’échec du gouvernement et des autorités françaises à reconnaître l’influence de la musique rap sur la société française, et surtout sur les jeunes. Nier l’influence de la musique rap revient à occulter les problèmes de la société. Le point crucial est que le gouvernement français a échoué dans le combat de la fracture sociale au sein de la banlieue – lieu de naissance du rap hardcore – et sa population pauvre, immigrée et minoritaire. Dans la chanson « That’s my people », les NTM empruntent un échantillon sonore qui répète le refrain « I make music for my people ». Kool Shen a même créé une compagnie de production musicale qui s’appelle « That’s My People ». Ainsi ces actes soulignent l’engagement des NTM pour leur quartier et incarnent la lutte pour l’amélioration des conditions de vies des banlieusards alors que le gouvernement français n’y est pas arrivé.

Finalement, du point de vue linguistique, le rap est très influent. Premièrement, le style vocale du rap, le « flow » susdit, imite le langage des jeunes des cités. Deuxièmement, avec l’usage du verlan, la langue française s’est transformée et elle est redéfinie. Les rappeurs, et donc, la banlieue, sont présents dans la langue elle-même. Un exemple riche de l’usage du verlan dans le rap revient, encore une fois, aux NTM ; « Respecte les gens ! Pas leur genhar (argent) / Qu’ils pèsent ou non, qu’ils viennent ou non du tiéquar (quartier) ». Pour Jack Lang, le rap est « la mise à jour et l’activation de la puissance de la langue ». En effet, suite à la loi Toubon qui a augmenté la surveillance légale de la langue française contre le verlan et les mots des origines américaines/arabiques qui forment le base du rap, Lang s’oppose à l’Académie française (organisation de conservateurs pour la protection de la langue française). Pour lui « le rap n’est pas le retour à une langue primitive, inarticulée… c’est l’élucidation, le démontage du moteur, l’encéphalogramme des mots, le raffinage de ces mots… ». Il continue d’affirmer que le rap est une force positive sur la langue française car « le rap épuise la langue et la fait renaître comme un nouvel amour, comme un amour de jeunesse ».

Compte tenu du fait que le langage est une composante de base essentielle d’une société et que le rap a cette capacité à changer, développer et faire évoluer la langue, et qu’il soit considéré comme un moyen de faire « renaître » la langue française, cela prouve bien que le rap influence fortement la société française.

En conclusion, cette dissertation a démontré que, sans doute, la musique rap hardcore peut influencer la société française. Il est vrai que d’un point de vue musical, le rap est assez limité ; « il n’y a pas là de quoi bouleverser le monde de la musique ». On ne peut pas admirer la musique rap de la même façon qu’on admire un chef d’œuvre des compositeurs de la musique classique. Pourtant, cela n’est pas l’objectif de ce style de musique. Son objectif est la dénonciation des problèmes sociaux – une tâche dont le rap hardcore s’est bien acquitté.

Il faut admettre que l’influence du rap n’est pas globalement audible pour les personnes qui n’adhèrent pas à l’authenticité du message rap ; notamment les personnes de classes moyennes et de conviction de droite. Et pourtant, ces personnes ne peuvent pas échapper au fait que, dans une certaine mesure, le rap hardcore a influencé leurs vies ; que ce soit un article de journal sur l’affaire NTM, l’usage du verlan dans leurs vies quotidiennes ou la loi récente pour améliorer les conditions de vies des banlieusards (par exemple, le CV anonyme). Quoi qu’il en soit, le rap hardcore n’a pas pour cible cette couche sociale. Le rap hardcore vise les personnes qui inspirent les raps – les banlieusards. La vraie influence du rap hardcore s’inspire des habitants de la banlieue, et surtout, des jeunes banlieusards parce qu’ils sont représentés par cette musique.

Le rap n’est pas seulement un style de vie adopté par les jeunes pauvres de la banlieue, une jeunesse prétendument sans repère et sans norme. Le rap est une traduction de la misère, de la colère ou de la joie d’une population qui mérite d’être entendue. Le rap est « l’expression d’un refus, la dénonciation d’une injustice et d’un abandon… un appel à ne pas se laisser enfermer dans sa situation ». Avant tout, le rap est une mobilisation collective d’une quête politique. Une quête qui partage les mêmes valeurs que la République française ; liberté, égalité, fraternité.

Mots: EQ

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